jeudi 29 août 2013

Quand il faut appeler un chat une chatte

On m'a confié une gentille petite chatte à garder pendant quelques jours. Ses maîtres disaient invariablement le chat et il à son propos. Ce n'est pas la première fois que je note ce phénomène. Les possesseurs de chats femelles, femmes et hommes, se refusent à appeler leur chat une chatte. Le mot chatte en étant venu à désigner le sexe féminin,  il ne reste plus aucun mot pour le chat femelle qui est devenu tabou. Ses maîtres vous expliquent candidement : "Non, il n'a jamais eu de portée, il n'a jamais été pleine."
Sachant qu'il y a en France 11 millions de chats, soit cinq millions et demi de femelles, nous sommes face à un véritable problème de vocabulaire. Faut-il lancer le mot matoute, forme féminine de matou  ? Matoute serait autrement plus utile que bombasse chelou, qui font partie des nouveaux mots du dictionnaire. J'imagine déjà les commentaires : " Matoute ? Mais c'est affreux ! Trop long !  Ridicule !  " Comme s'il n'était pas ridicule de ne pas appeler une chatte une chatte. Les gens n'ont aucun problème à évoquer leur chienne. Il faut des mots pour désigner la réalité qui nous entoure. Quand ces mots n'existent pas, il faut les inventer. Quand les mots existent mais ne remplissent plus leur fonction parce que leur sens a été détourné, ou quand ils désignent des catégories obsolètes comme madame et mademoiselle,  il faut en trouver de nouveaux. Ne pas nommer cinq millions et demi d'animaux est une aberration. Diviser les femmes en catégories, leur dire madame ou mademoiselle est une aberration (en plus d'être toujours plus ou moins une insulte). Ne pas poser de mots adéquats sur la réalité est le plus sûr moyen de devenir cinglé.
Alors je vous le demande, Mademoidame ou Monsieur, que préférez-vous concernant les félins femelles ? Opterez-vous pour matoute, ou oserez-vous appeler une chatte une chatte ?

dimanche 18 août 2013

Pourquoi des hommes et des femmes sont-elles aussi conservatrices ?

Une action féministe sur la grammaire vise à rétablir l'accord de proximité. En français, le masculin l'emporte sur le féminin. Voici ce qu'en dit L'égalité c'est pas sorcier :
"Cette règle de grammaire apprise dès l'enfance sur les bancs de l'école façonne un monde de représentations dans lequel le masculin est considéré comme supérieur au féminin. En 1676, le père Bouhours, l'un des grammairiens qui a œuvré à ce que cette règle devienne exclusive de toute autre, la justifiait ainsi : « lorsque les deux genres se rencontrent, il faut que le plus noble l'emporte. »
Pourtant, avant le 18e siècle, la langue française usait d'une grande liberté. Un adjectif qui se rapportait à plusieurs noms, pouvait s'accorder avec le nom le plus proche. Cette règle de proximité remonte à l'Antiquité : en latin et en grec ancien, elle s'employait couramment."

La règle de grammaire que nous employons tous a donc été arbitrairement instaurée par un individu, il y a 337 ans. Elle ne reflète rien d'autre que l'opinion d'un curé dont plus personne ne devrait se souvenir. Comment expliquer, dès lors, la levée de boucliers dans les commentaires des internautes ?  Ils ne crieraient pas plus fort si on voulait leur arracher un bras. Il faut dire que les médias leur tendent la perche : "Féminisme: elles s'attaquent à la grammaire" titre Le Parisien le 7 mars 2012. Un autre site annonce carrément : " Le féminisme contre la langue française." Quoi ? La langue française est mise à mal par pratiquement tout le monde, mais on ne tolèrerait pas une modification qui la rendrait moins sexiste ? Pourquoi la bêtise et la mauvaise foi sont-elles aussi largement partagées sur cette question ?
Tout comme avec mademoidame, on touche ici à un double tabou : celui de (l'idée qu'on se fait de) la langue, et celui des femmes. Dans la réalité, les Français parlent et écrivent comme bon leur semble, sans se préoccuper d'une grammaire compliquée qui n'est même plus enseignée. Pire encore, certains croient s'en préoccuper mais font des boulettes énormes. De l'Elysée même on écrit des lettres truffées de fautes. Je fais bien sûr allusion au communiqué de presse qui a suivi la mort de Mademoidame - j'ai failli écrire Madame - Mitterrand, sous le quinquennat précédent. L'évolution de la langue mériterait un blog à elle seule. Les Français ne maîtrisent plus le français tel qu'il a été codifié. Tenez, savez-vous pourquoi je mets une majuscule à les Français et pourquoi je n'en mets pas à le français ?
Le Grevisse est la bible en matière de grammaire française. Il a été écrit par un grammairien belge du nom de Maurice Grevisse. Chaque règle est illustrée par des exemples. Chaque règle ou presque s'accompagne aussi de contre-exemples empruntés à la littérature. La morale du Grevisse, c'est que les règles sont constamment transgressées, et que les transgressions successives conduisent à des évolutions. Transgressons donc la grammaire quand nous la trouvons sexiste. Transgressons les civilités traditionnelles et disons mademoidame à toutes les femmes quel que soit leur âge. Les critiques formulées au nom de la langue française par des gens qui la massacrent à longueur de journée ne valent rien. Transgression linguistique pour transgression linguistique, choisissez donc de faire partie des hommes et des femmes intelligentes. Adoptez la règle de proximité, et bien sûr employez mademoidame. Et que les hommes et les femmes vivent heureuses.