lundi 8 mars 2010

Pourquoi Mademoidame ?

Je n'ai jamais vu en quoi me dire écrivaine, ou auteure, changerait quoi que ce soit à ma condition. Il est bien plus urgent d'abolir la distinction Madame/Mademoiselle. Aujourd’hui, en France, les femmes continuent d’être classées en deux catégories, au nom d’un usage complètement dépassé. Madame ou Mademoiselle ? Quelle femme ne s’est pas entendu poser cette question ? Elle recouvre un sens bien différent selon qu’elle est formulée par un dragueur ou par la secrétaire d’un éventuel employeur ; selon qu’elle s’adresse à une toute jeune femme, à une femme de trente-cinq ans ou à une septuagénaire. Elle marque en tout cas une différence fondamentale de traitement social entre les hommes et les femmes. Un homme est appelé Monsieur de son adolescence à sa mort. Une femme oscille entre Mademoiselle et Madame selon des critères compliqués liés à l’âge et/ou au statut marital.



Une distinction confuse

S’il semble normal de dire « Mademoiselle » à une toute jeune fille et « Madame » à une femme mûre, la distinction entre les deux appellations concerne aussi le statut matrimonial. Traditionnellement, l’appellation « Madame » s’adresse aux femmes mariées, veuves ou divorcées, tandis que les femmes non mariées sont appelées « Mademoiselle ». Cette règle admet depuis toujours de nombreuses exceptions. Sous l’Ancien Régime, les filles du roi étaient appelées Madame, y compris lorsqu’elles étaient enfants. Madame s’appliquait aussi aux tenancières de bordel. Les actrices, mêmes mariées, sont appelées Mademoiselle quel que soit leur âge. Les adolescents appellent un professeur Madame, même quand celle-ci est très jeune, célibataire, et que l’on se réfère à elle en disant « Mademoiselle Untel ». L’usage des deux termes est parfaitement illogique.


Un usage dépassé

Aujourd’hui, en France, 53% des enfants naissent hors mariage (source : INSEE). 256 000 mariages ont été célébrés en 2009, soit 3,5% de moins qu’en 2008, et 12,8% de moins qu’il y a dix ans. Que ce soit pour fonder une famille ou acheter une maison, le mariage est devenu facultatif. On persiste néanmoins à vouloir distinguer les « dames » des « demoiselles » selon le critère matrimonial, dans une débauche de subjectivisme et d’irrationalité. Vous avez quarante ans, quatre enfants et vous n’êtes pas mariée ? La caisse d’Assurance Maladie trouve normal de libeller ses courriers à « Mademoiselle» Trucmuche. Aurait-on idée de dire Mademoiselle à Ségolène Royal ? Ce serait un manque de respect. Madame s’impose comme l’équivalent par défaut de Monsieur, à l’inverse de Mademoiselle, qui est infantilisant passé un certain âge. Si vous n’avez pas d’enfant mais que vous avez été mariée brièvement dans votre prime jeunesse, tout le monde trouvera normal de vous appeler Madame, en référence à quelqu’un qui ne vous est plus rien depuis des années. Demande-t-on à un homme de se définir par rapport à une femme ? Pourquoi faudrait-il qu’une femme se définisse par rapport à un homme ? Par quel conservatisme serions-nous empêchés de faire évoluer un usage qui ne correspond plus à la société dans laquelle nous vivons?


Savoir-vivre

Quand on ne sait pas si une femme est ou non mariée, les manuels de savoir-vivre recommandent de lui dire « Madame » - et non de l’interroger de manière indiscrète comme le font la plupart des gens. Demande-t-on à un homme s’il est marié pour lui établir une carte de transport ? Ma vie ne regarde ni la guichetière du centre médical, ni le gérant du pressing, ni aucune des personnes qui se permettent des questions alors qu’elles me connaissent depuis moins de cinq minutes. Appelez-moi Mademoidame !


Un jugement esthétique

Quand le nom de famille et le statut marital ne sont pas connus – dans la rue par exemple - le choix de l’appellation repose sur l’apparence physique. Observez comme on dit « Mademoiselle » à des femmes minces et pimpantes, même quand de toute évidence elles ont plus de quarante ans. Constatez à l’inverse comme on dit « Madame » à des filles de vingt ans dès qu’elle ont un physique ingrat ou des kilos en trop. Mademoiselle à une quadragénaire sonne comme un compliment, Madame à une jeune fille comme un verdict. Cette discrimination esthétique est opérée par des femmes autant que par des hommes. Elle est largement inconsciente et renvoie à l’intéressée l’image que l’on se fait d’elle. Est-ce bien indispensable ? Que diraient les messieurs si dans la vie de tous les jours, par une appellation, on leur faisait savoir qu’on les trouve laids ou beaux ?


Jeux de pouvoir

Le jeu Madame/Mademoiselle permet toutes sortes d’insultes et de manipulations subtiles. Il met dans l’embarras des personnes bien intentionnées qui, si on les corrige à simple titre d’information, se confondent en excuses. La question Madame/Mademoiselle engendre des gaffes et des malaises quotidiens. Elle complique les listings et les opérations de publipostage des entreprises et des administrations. Elle véhicule l’idée qu’une femme ne se définirait que par rapport au mariage, alors que les femmes se marient de moins en moins et de plus en plus tard. Elle choque toutes celles qui entendent exister socialement par elles-mêmes. Elle donne de la France une image d’indécrottable conservatisme, quand les anglo-saxons ont depuis longtemps réglé le problème.


Un troisième terme

Les anglophones ont depuis trente ans trouvé la solution avec Ms., contraction de Miss et de Mrs., et équivalent exact de Mister. Les appellations de Miss et de Mrs sont encore en usage, mais la préférence de chacune est respectée. Quand on ne sait pas, on dit juste Ms., et on s’évite un tas d’embarras. Côté francophone en revanche, un silence sidéral. Les Québécois avaient bien tenté dans les années quatre-vingt d’introduire le terme de Madelle, mais avec un tel insuccès que je n’en avais pas entendu parler avant de faire une recherche. Mademoidame sonne bien mieux. C’est rigolo, et pas plus long que Mademoiselle. « Mademoidame ! Vous oubliez votre parapluie ! » « Bonjour Mesdemoidames ! »


Une autre solution ?

Vous êtes hostile à Mademoidame mais néanmoins soucieuse/soucieux d’égalité entre les sexes ? Commencez donc à dire « Mondemoiseau » à tout homme de moins de vingt-cinq ans. Etendez cette appellation aux beaux mâles et aux célibataires de tous âges. Quand le statut marital de l’homme n’est pas visible au niveau de l’annulaire gauche, n’hésitez pas à poser des questions. Insistez lourdement si nécessaire pour obtenir l’information souhaitée. Bon courage !


C’est le moment !

L’écart des salaires hommes/femmes est encore de 15 à 30% selon des sources plus ou moins optimistes. La féminisation des noms de métiers n’a pas changé grand-chose à la situation. C’est peut-être que les salaires de femmes sont encore trop souvent perçus comme des salaires d’appoint – et les femmes comme de simples extensions sociales des hommes. C’est ce que reflète le langage. Abolir la distinction madame/mademoiselle permettra de vraiment mettre femmes et hommes sur un pied d’égalité. Lancez l’idée autour de vous. Toutes les femmes ou presque ont des histoires à raconter à ce sujet. Les hommes aussi. Abordez la question lors d’un prochain dîner. Au restaurant, hélez discrètement la serveuse : « Mademoidame, pourriez-vous nous redonner une bouteille ? »

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