J'ai eu envie cet été de relire Le deuxième sexe. Simone de Beauvoir a beaucoup compté dans mon imaginaire. Elle incarnait l'intellligence, l'égalité avec les hommes, la liberté. J'enviais sa puissance de travail. Je partageais son refus de la maternité. J'ai lu tous ses livres de mémoires. Mon souvenir d'elle le plus prégnant - qui m'a donné par la suite l'audace de voyager seule - est celui de ses excursions solitaires. Elle a alors vingt et quelques années. Elle enseigne la philosophie à Marseille, dont elle explore l'arrière-pays pendant ses jours de congé. Elle se chausse d'espadrilles, emporte pour tout pique-nique une tranche de jambon. Des gens lui demandent si elle n'a pas peur, toute seule dans la garrigue; mais non, elle n'a pas peur. Nous sommes dans les années 1930. Jeune femme célibataire, elle est invariablement appelée mademoiselle. Et puis un jour, dans La Force de l'âge, quelqu'un lui dit madame pour la première fois. Ce n'est pas elle qui le remarque, c'est moi. Le madame correspond bien à une promotion, mais laquelle ? S'agit-il d'une reconnaissance personnelle ou d'un hommage à "Madame Sartre"?
Il n'est pas une seule fois question des civilités dans les mille pages du Deuxième sexe. Il aurait fallu que Beauvoir vive centenaire et constate les mutations démographiques pour être amenée à réfléchir sur la nécessité de faire évoluer le langage. Elle montre bien que l'homme est systématiquement posé comme le destin de la femme. Elle aurait admis sans difficulté que le distingo madame/mademoiselle est aliénant. A choisir entre l'extension du bourgeois madame à toutes les femmes et la nouveauté libératrice de mademoidame, je crois savoir ce qu'elle aurait préféré...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire