En commentaire de Comparaison n'est pas raison, un monsieur trouve que j'exagère de dire que la différenciation madame/mademoiselle assimile les femmes à du mobilier. Ne fait-on pas, ajoute-t-il candidement, la différence entre une commode et un bahut ? J'ai trouvé cette remarque amusante et terriblement pertinente. Ce monsieur aurait pu évoquer des meubles insignifiants tels qu'une table ou une chaise. Mais son inconscient - qui lui fait dire le contraire de ce qu'il comptait dire, parce que le refoulé ressurgit toujours - a vraiment trouvé les images adéquates. Oui, le système traditionnel divise bien les femmes en commodes et en bahuts : d'un côté les commodes, sexuellement bien pratiques, de l'autre les bahuts, dans lesquelles un homme place sa préciseuse semence pour assurer sa descendance ; d'un côté les femmes réservées à la gaudriole, de l'autre celles réservées à l'élevage. Remarquez que le terme mademoiselle désigne à la fois les commodes et les futurs bahuts : cette contradiction n'est qu'apparente, l'essentiel étant que les femmes restent assimilées à des meubles et demeurent des propriétés.
J'ai assisté la semaine dernière à une scène presque insoutenable. Dans un wagon de métro est montée une femme entièrement voilée, avec un masque comme en portent les chirurgiens, accompagnée de son mari. Le voile intégral est interdit en France depuis avril 2011; si ces gens avaient croisé la police, ils auraient été verbalisés. Est-ce le plaisir de la transgression qui donnait à cet homme son air imbécile et autosatisfait ? On aurait dit qu'il promenait son doberman en laisse. Le doberman portait une muselière. Sauf que ce n'était pas un doberman, c'était un être humain. C'était si pénible à voir que les gens se dandinaient sur leur siège. La plus folle de colère était une vieille Marocaine qui ne portait pas le moindre foulard et qui les fusillait des yeux en poussant des soupirs d'indignation.
Dans un système tel que celui incarné par ce couple, une frontière très étanche sépare les dames des demoiselles. Aucune liberté sexuelle n'est possible. Le mariage s'assimile à une transaction par laquelle l'homme acquiert une maison qu'il n'a pas visitée.
Meuble, maison, mais quand donc les femmes cesseront-elles d'être considérées comme des choses dans l'inconscient collectif ? Quand on cessera de les définir par rapport à un homme. Quand enfin on emploiera une civilité qui ne signifie ni fille de, ni femme de, mais qui soit l'exact équivalent de monsieur. Quand, en lieu et place de mademoiselle ou madame, on dira mademoidame.
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