mardi 15 octobre 2013

Quand la bise fut venue

Une habitude sociale relativement récente consiste à faire la bise à de parfaits inconnus. Ou, plus exactement, à recevoir la bise de parfaits inconnus, au motif que l'on est une femme. Cette pratique est apparue dans les dernières décennies. Son développement coïnciderait avec l'émancipation des femmes - sans toutefois en relever. Elle mériterait en tout cas l'attention soutenue de sociologues et d'historiens des moeurs.
Les hommes entre eux se serrent la main. Ils s'embrassent quand ils sont amis ou parents, mais c'est là encore un phénomène très récent. Je n'imagine pas, par exemple, mon père faisant la bise à un autre homme. Cette idée le ferait probablement hurler. Les hommes des anciennes générations redoutaient tout ce qui aurait pu les faire passer pour efféminés et/ou homosexuels  - pour eux c'était la même chose. Effusions envers leurs pairs, attention à leur apparence physique, larmes, tout cela leur était interdit. Si leurs fils et petits-fils répugnent moins aux embrassades, la poignée de main demeure la salutation virile par excellence. Quand un homme arrive dans un groupe pour la première fois, il tend la main aux autres hommes et les salue en les regardant dans les yeux. Mais il agit tout autrement envers les femmes : sans leur accorder un regard - ou alors juste une oeillade - il trouve normal de coller sa joue râpeuse contre la leur, une fois de chaque côté. Car une autre évolution sociale nous vaut en France, depuis Serge Gainsbourg, des hommes perpétuellement mal rasés. En été, la barbe de trois jours s'accompagne d'une sueur abondante. Et comme la toilette bi-quotidienne reste une pratique largement féminine, rien ne garantit que l'homme qui se permet de vous embrasser sans vous connaître sente bon...
En général, je contre l'offensive de la bise en tendant la main et en invoquant la fragilité de ma peau. C'est vrai, je ne supporte pas ce qui pique. Mon chéri a pris l'habitude de se raser le soir pour ne pas irriter mon épiderme délicat. Certains inconnus prennent mal mon refus de leur faire la bise. Tant pis. Je préfère passer pour une pimbêche plutôt que de frotter ma joue contre du papier de verre. Je ne fais d'effort que pour les amis. Et encore, je n'hésite pas à leur dire qu'ils piquent, comme je le disais à mon grand-père. Pourquoi devrait-on se soumettre à une pratique sociale désagréable et discriminante ? Pourquoi la franche poignée de main devrait-elle demeurer l'apanage de ces messieurs ? Que diraient-ils, si on leur demandait de frotter leur visage contre un paillasson ?


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