dimanche 27 octobre 2013

Tous clients, tous coupables ?


Une nouvelle campagne vise à "abolir" la prostitution. Les abolitionnistes veulent pénaliser le "client prostitueur". Il a même déjà été question d' "état prostitueur", comme si des femmes se retrouvaient sur le trottoir par décision gouvernementale. On vous explique qu'après l'abolition de l'esclavage et celle de la peine de mort est venu le temps de l'abolition de la prostitution. On voudrait bien y croire, si, si. Mais les véritables prostitueurs, les réseaux de proxénétisme, sont relativement peu mentionnés et pas du tout analysés (du moins dans ce que j'ai pu lire). Par nature volatiles, ils semblent moins intéresser les abolitionnistes que le client, sur qui la faute est rejetée. On finit par perdre de vue que la prostitution profite avant tout aux mafias, qui font en permanence un doigt d'honneur aux états.
Ce n'est pas parce qu'une chose est réprimée qu'elle n'est pas pratiquée. Malgré une politique de prohibition soutenue, la consommation de cannabis en France reste l'une des plus élevées en Europe, et on voit depuis plus de quarante ans que la pénalisation du client ne fait pas disparaître le phénomène.
Il y a dans l'appellation de "client prostitueur" quelque chose de très grave, dû en partie au mot tueur contenu dans prostitueur (mot récent). Le client est directement assimilé au proxénète. De simple consommateur de service offert dans une société toute entière vouée au commerce, il se retrouve coupable. Si la culpabilité du client devient un principe, alors nous devenons tous coupables de soutenir de nouvelles formes d'esclavage. Tous nous achetons à bas prix des ordinateurs et des vêtements fabriqués en Asie dans des conditions qui s'apparentent à l'enfer. Un ordinateur en commerce équitable coûterait trop cher pour la plupart des bourses. Donc, si le client de la prostitution doit renoncer à sa consommation pour des motifs moraux, nous devrions en toute logique, pour des motifs moraux, nous débarrasser de nos ordinateurs et de nos téléphones portables. On devrait appeller "clients esclavagistes" ceux qui continuent à acheter des tee-shirts à cinq euros. Mesdemoidames et Messieurs les abolitionnistes, commencez les premiers. Montrez par votre exemple que vous ne tolérez aucune forme d'exploitation dégradante de l'être humain. Débarrassez-vous de vos gadgets électroniques. Portez comme vos ancêtres une chemise de lin ou de coton fabriquée localement. Vous en changerez une fois par semaine, le dimanche, en même temps que vous ferez votre toilette hebdomadaire.

PS (31 octobre) :  le scepticisme - quant à l'efficacité des poursuites contre le client - ne me fait pas pour autant adhérer à l'affreux "manifeste des 343 salauds" avec son "Touche pas à ma pute". Les 343 salopes prenaient de vrais risques en signant leur manifeste ; les 343 salauds n'en prennent aucun. Quand au détournement du slogan historique "Touche pas à mon pote", il est tout aussi déplacé que le manisfeste. Imposture est le mot qui me vient à l'esprit. Mais au fait, pourquoi m'intéresser à ce débat ?  Peut-être parce qu'on dit invariablement madame aux prostituées ?




mardi 15 octobre 2013

Quand la bise fut venue

Une habitude sociale relativement récente consiste à faire la bise à de parfaits inconnus. Ou, plus exactement, à recevoir la bise de parfaits inconnus, au motif que l'on est une femme. Cette pratique est apparue dans les dernières décennies. Son développement coïnciderait avec l'émancipation des femmes - sans toutefois en relever. Elle mériterait en tout cas l'attention soutenue de sociologues et d'historiens des moeurs.
Les hommes entre eux se serrent la main. Ils s'embrassent quand ils sont amis ou parents, mais c'est là encore un phénomène très récent. Je n'imagine pas, par exemple, mon père faisant la bise à un autre homme. Cette idée le ferait probablement hurler. Les hommes des anciennes générations redoutaient tout ce qui aurait pu les faire passer pour efféminés et/ou homosexuels  - pour eux c'était la même chose. Effusions envers leurs pairs, attention à leur apparence physique, larmes, tout cela leur était interdit. Si leurs fils et petits-fils répugnent moins aux embrassades, la poignée de main demeure la salutation virile par excellence. Quand un homme arrive dans un groupe pour la première fois, il tend la main aux autres hommes et les salue en les regardant dans les yeux. Mais il agit tout autrement envers les femmes : sans leur accorder un regard - ou alors juste une oeillade - il trouve normal de coller sa joue râpeuse contre la leur, une fois de chaque côté. Car une autre évolution sociale nous vaut en France, depuis Serge Gainsbourg, des hommes perpétuellement mal rasés. En été, la barbe de trois jours s'accompagne d'une sueur abondante. Et comme la toilette bi-quotidienne reste une pratique largement féminine, rien ne garantit que l'homme qui se permet de vous embrasser sans vous connaître sente bon...
En général, je contre l'offensive de la bise en tendant la main et en invoquant la fragilité de ma peau. C'est vrai, je ne supporte pas ce qui pique. Mon chéri a pris l'habitude de se raser le soir pour ne pas irriter mon épiderme délicat. Certains inconnus prennent mal mon refus de leur faire la bise. Tant pis. Je préfère passer pour une pimbêche plutôt que de frotter ma joue contre du papier de verre. Je ne fais d'effort que pour les amis. Et encore, je n'hésite pas à leur dire qu'ils piquent, comme je le disais à mon grand-père. Pourquoi devrait-on se soumettre à une pratique sociale désagréable et discriminante ? Pourquoi la franche poignée de main devrait-elle demeurer l'apanage de ces messieurs ? Que diraient-ils, si on leur demandait de frotter leur visage contre un paillasson ?