vendredi 8 août 2014

Mademoidame, Monsieur, bonjour

Au wagon-bar du train est arrivée une toute jeune fille qui portait un bébé dans un kangourou. Elle avait 14 ou 15 ans. Le barman lui a dit madame.
Le bébé n'était peut-être que le petit frère de l'adolescente. Le barman disait peut-être madame à toutes les femmes. Cette deuxième hypothèse semble toutefois improbable. La SNCF reste passéiste concernant les civilités : quand vous achetez un billet en ligne, vous avez le choix entre Monsieur, Mademoiselle et Madame, et tout voyage débute par un "Madame, Mademoiselle, Monsieur bonjour" particulièrement irritant. Je parierais que le barman pensait avoir affaire à une jeune maman, et qu'il lui disait madame à ce titre.

La maternité est un critère déterminant pour distinguer les dames des demoiselles dans la société française d'aujourd'hui. La société française reste très nataliste, et s'accroche de toutes ses forces à la distinction madame/mademoiselle. Il faut s'en étonner. Pourquoi serait-il normal de dire madame à une maman ? Pourquoi serait-il normal de distinguer certaines femmes des autres ? Serait-il normal d'employer un mot différent selon la couleur de la personne à qui l'on s'adresse ?  Ce serait du racisme. Appliqué aux femmes, on appelle ça du sexisme. Notez que la tonitruante campagne menée par OLF en 2011 pour la "suppression de la case mademoiselle" prônait le madame universel plutôt qu'une civilité nouvelle telle que mademoidame. C'est que la plupart des féministes officiel(le)s sont natalistes, comme le reste de la société. Le madame généralisé s'inscrit dans une vision du monde où les femmes sont des mères en puissance. L'injonction nataliste ne faiblit pas, alors même que les machines remplacent partout les gens et que de plus en plus de femmes osent dire qu'elles n'ont pas envie de se reproduire.
Les civilités sont peut-être un détail, mais un détail qui en dit long sur la mentalité ambiante. Le fait même qu'elles soient peu étudiées montre à quel point elles sont ancrées dans l'inconscient collectif. Posez-vous la question la prochaine fois que vous entendrez madame ou mademoiselle. Voyez comme, derrière la façade de l'évidence, les choses ne vont pas de soi. Bienvenue, Mademoidame, Monsieur, dans ce champ de réflexion encore peu fréquenté. Et bravo pour votre audace et votre curiosité ! Il en faut, pour ne pas se cantonner aux sites où tout le monde va.

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