samedi 10 mars 2012

Autant en emporte le mot...

Merci au lecteur qui m'a écrit pour me signaler la chronique de François Morel sur France Inter
http://www.franceinter.fr/emission-le-billet-de-francois-morel-mademoiselle-se-meurt.
Intitulée dans un élan de dramatisation Mademoiselle se meurt, cette chronique illustre à merveille les malentendus implicites et inhérents au débat madame/mademoiselle. Elle montre aussi que, tout comme M. Jourdain faisait de la prose sans le savoir, M. Morel est peut-être, à son insu, un partisan de mademoidame...
Premièrement - il ne devrait pas être utile de le rappeler mais les réactions sur ce sujet sont tellement dictées par l'émotion : personne n'est en train de mourir à cause d'une évolution de langage. On est ici dans une métaphore nostalgique, proustienne, les chapeaux à voilettes, les déjeuners sur l'herbe, le cinématographe, le Paris des photos de Doisneau... Tout passe irrémédiablement. La nostalgie peut se comprendre car elle trahit notre inquiétude à propos de nous-mêmes : nous aussi, nous passerons, tous autant que nous sommes. On ne peut pourtant pas laisser la nostalgie dicter nos choix, à moins d'être rétrograde. Qui voudrait revenir à la tuberculose, aux guerres coloniales, aux aiguilles à tricoter pour avorter ?
Comme souvent dans ce débat, il y a confusion entre les différents usages des mots madame et mademoiselle. Madame et mademoiselle sont des termes polysémiques. Melle Truc sur une enveloppe ne veut pas du tout dire la même chose que "Hep, mademoiselle!" dans la rue. L'abandon de mademoiselle par l'administration n'empêchera nullement M. Morel de continuer à utiliser ce mot dans sa vie de tous les jours s'il le souhaite. C'est sûr, à force d'apostropher les jeunes femmes à coups de mademoiselle, il finira par avoir l'air d'un vieux machin... A ce propos, il semble regretter qu'on ne lui dise plus jeune homme à la boulangerie. Mais ni l'emploi de jeune homme, ni celui de mademoiselle ne vous rendent la frimousse et la vigueur de vos vingt ans.  La mise en parallèle de jeune homme avec mademoiselle est par ailleurs une erreur ou une imposture, puisque jeune homme n'a jamais figuré sur le moindre courrier. Elle sert à discréditer les tentatives de faire évoluer le langage, il en a déjà été question.
Là où je suis d'accord avec M. Morel, c'est sur le caractère triste et conformiste du mot madame. Moi non plus, je n'ai pas envie de dire madame à des adolescentes. C'est bien pour ça que je les appelle mademoidame. Mademoiselle est aussi triste et conformiste que madame.
Madame et mademoiselle sont des mots connotés qui relèvent d'une même aliénation. Ils forment un système binaire dans lequel une femme est toujours définie par rapport au mariage. Avec mademoidame, on arrive enfin à quelque chose de neuf. Un monde où les femmes s'affirment par elles-mêmes et où les hommes ne se sentent nullement menacés par cette évolution. Un monde où les poètes chantent encore les joues roses des jeunes filles, mais où ils ont aussi ont la délicatesse, à mesure que s'additionnent les années, de ne pas leur faire remarquer les ravages du temps qui passe... Belle idée, n'est-ce pas M. Morel ?

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